TANIZAKI J.

TANIZAKI J.
TANIZAKI J.

Tanizaki Jun.ichir 拏 fut, avec Kawabata Yasunari, l’un des premiers écrivains japonais qui aient été lus et appréciés en Occident de leur vivant. Entre 1950 et 1960, certaines de ses œuvres maîtresses avaient été traduites aux États-Unis et, quelques années plus tard, en Europe, en France en particulier où il recueillit un succès considérable.

On le représenta volontiers comme l’un des défenseurs les plus remarquables de l’esthétique traditionnelle, et lui-même ne dédaigna pas de se composer un personnage qui confirmât le public dans son opinion. Mais dans ses yeux passe souvent une lueur d’ironie.

La fulgurante ascension d’un écrivain «diabolique»

Vers 1908 surgit dans les romans et les revues littéraires le mot seikimatsu , «fin de siècle». Il est entouré d’un halo imprécis, comme tous les termes qui annoncent l’avènement d’une sensibilité nouvelle et connaissent bientôt la vogue. Tandis que T 拏ky 拏 s’étend, se transforme et que, dans le domaine des lettres, les grands écrivains de Meiji atteignent à leur pleine maturité, la génération qui leur succède se sent attirée par d’autres horizons. Elle se détourne de la réalité proche. Elle veut capter des sensations plus fortes ou plus singulières. Avec Akutagawa Ry nosuke, Tanizaki Jun.ichir 拏 en sera le représentant le plus brillant.

Il recherche l’étrange. Ses premières œuvres sont des nouvelles, de brèves efflorescences de l’imagination. Il évoquera un artiste de jadis fasciné par le corps féminin (Shisei , 1910, Le Tatouage ), une Chine de légende (Kirin , 1910, La Licorne ), le paradis cruel de l’enfance (Sh 拏nen , 1911, L’Enfant ). Dans ce dernier récit, les garçons deviendront les esclaves de l’adolescente qu’ils avaient d’abord maltraitée. Le maître du Tatouage fixe sur le dos d’une jeune femme un dessin d’une étonnante perfection et réalise le rêve de sa vie, mais au même moment éveille en elle l’instinct du plaisir et de la domination. Le narrateur invoque maintes fois la «beauté», mais plus souvent encore le «diable». Pendant les années de prospérité que traverse le Japon au début de l’ère Taish 拏 (et qui coïncident avec la Première Guerre mondiale en Europe), il proclamera volontiers son «diabolisme».

Il connut le succès très tôt. Il venait d’interrompre ses études et se heurtait pour la première fois à la censure, quand Nagai Kaf , déjà célèbre et peu enclin à sortir de sa réserve, lui consacra une critique retentissante. Ce fut la gloire. Le premier volume de nouvelles (intitulé Shisei , Le Tatouage ) parut en 1912, le second (Akuma , Le Diable ) en 1913. Chaque année, il publiera plusieurs récits ou pièces de théâtre, dans des revues d’abord, puis réunis sous forme de livres.

De par sa famille, établie depuis longtemps à T 拏ky 拏 où il naquit dans les quartiers marchands qui longent le fleuve, il éprouve une affinité naturelle pour l’atmosphère du vieil Edo. Il en aime les traditions et le raffinement. Il observe les usages, les choses et les gestes; il les juge en connaisseur. Mais il n’entend pas se soumettre de manière inconditionnelle aux règles du temps passé. Dans Sh 拏nen , il a déjà choisi les décors qui réapparaîtront dans ses œuvres ultérieures: les ruelles de la ville basse, mais aussi, au milieu d’une vaste propriété, une maison traditionnelle et un pavillon à l’occidentale où s’entassent des objets extravagants. Dorénavant, il utilisera tour à tour, selon les besoins de la mise en scène, ces deux univers: la mode venue d’Occident, qui change au fil des années, et la tradition, en particulier celle de l’époque d’Edo.

Il décrit la cité et la famille qui l’ont vu grandir dans Itansha no kanashimi (1917, La Tristesse de l’hérétique ). En des phrases concises, moqueuses ou amères, il dresse une sorte d’autoportrait. L’artiste, encore jeune, semble indifférent au milieu qui l’entoure. En fait, il lui est intimement lié et il le demeurera. Tanizaki est sans doute, au sens littéral du terme, le plus bourgeois des écrivains japonais modernes.

L’accomplissement

Dans les années qui suivirent, Tanizaki ne cessa de produire. Mais il s’avouait insatisfait. Il lui semblait s’engager dans une impasse, Chijin no ai (L’Amour d’un idiot ), qu’il fit paraître en feuilleton de 1924 à 1925, reprenait un thème familier – la soumission d’un homme d’âge mûr à la jeune femme qu’il avait recueillie et dont il avait cru faire sa protégée – et pourtant témoignait d’une attitude nouvelle. Ce fut une œuvre longue, à la progression très lente, avec des personnages nombreux et de multiples notations sur l’ambiance de l’époque. Il avait trouvé un mode d’exposition qui lui sera particulièrement cher: le livre est une «confession» à la première personne et tout le récit est porté par le rythme fluide et capricieux du langage parlé. Le maître de la nouvelle s’était tourné délibérément vers le roman.

L’intérêt qu’il portait depuis quelque temps au cinéma et au théâtre reflétait des préoccupations analogues. En 1920 et 1921, il s’associe aux activités de la société cinématographique Taish 拏-katsuei et rédige plusieurs scénarios. Il est attiré par tout ce qui touche à l’organisation du spectacle et à la dramaturgie.

À la fin du mois de septembre 1923, quelques semaines après le séisme qui ravagea T 拏ky 拏, il décide de s’établir non loin d’ 牢saka. La capitale le lasse. Dans cette région du Kansai qui fut le berceau de la civilisation traditionnelle, il espère retrouver une vie qui s’accorde davantage à ses goûts. Et il observera avec une curiosité passionnée une réalité fort différente de celle qu’il avait connue. L’Amour d’un idiot fut un dernier hommage ironique au T 拏ky 拏 des mobo («modern boys»). Puis il choisit pour sa création une matière nouvelle. En 1928 paraissent coup sur coup deux chefs-d’œuvre: [Manji , 1928-1930)] et Tade kuhu mushi (1928-1929, Des goûts et des couleurs , traduit sous le titre Le Goût des orties ). Récits déconcertants: des relations équivoques unissent un petit nombre de personnages, dans une atmosphère de luxe où se mêlent les raffinements de jadis et les dernières nouveautés. La forme, elle, éblouit. Par un don de mimétisme peu commun, l’auteur a adopté, en quelques années, le parler du Kansai. Il juxtapose des fragments hétérogènes – lettres, confessions, dialogues, descriptions –, des perspectives et des langages différents. Le roman devient une sorte de collage où se déploie sa virtuosité. Le retour à un rythme de vie plus traditionnel coïncide avec une création résolument moderne. Chacun de ces livres est un objet précieux. Les illustrations en sont confiées aux peintres les plus brillants de cette génération et la typographie insolite charme l’œil. Avec un soin qui confine au fétichisme, Tanizaki veille au choix du papier et de la reliure. Souvent, le lecteur s’arrête un instant au détour d’une phrase: la langue a l’éclat et la douceur du velours. Un même souci de la forme s’affirme dans ses récits historiques, qu’il composa peu après et qui passèrent parfois pour ses œuvres maîtresses: M 拏moku monogatari (1931, Le Dit de l’aveugle ), Ashikari (1932), Shunkinsh 拏 (1933, Fragments de la vie de Shunkin ). C’est en 1933 que paraîtra In.ei raisan (Éloge de l’ombre ), l’un des textes les plus séduisants qui aient été écrits sur l’esthétique traditionnelle japonaise.

Le cours de l’histoire se précipite, la guerre approche. Tanizaki se tient à l’écart. Il met en chantier deux travaux considérables: il traduit en langue contemporaine le Genji monogatari , et le premier volume sera prêt en janvier 1939; en 1942, alors que les hostilités sont déclenchées sur tous les fronts, il commence à rédiger une «chronique» des années qui précédèrent la grande guerre d’Asie. Sasame yuki (Fine Neige , traduit sous le titre Quatre Sœurs ), dont la publication a été interrompue par l’auteur en 1943 après des démêlés avec la censure, sera l’une des révélations de l’immédiat après-guerre: trois forts volumes se succéderont entre 1946 et 1948.

Les comédies de la vieillesse

En 1954, trente ans après avoir quitté la capitale, Tanizaki se fixe à nouveau près de T 拏ky 拏. Il connaît les honneurs, dans son pays et à l’étranger. Il écrit moins. Puis il publiera ses deux derniers grands romans, qui l’un et l’autre – et à son grand contentement – feront scandale. Kagi (1956, La Clé , traduit sous le titre La Confession impudique ) se compose de fragments des journaux intimes que tiennent un professeur d’université (à Ky 拏to, la capitale de la tradition!) et sa femme: l’homme, prisonnier de ses phantasmes, succombe à la fascination érotique et s’anéantit. F ten r 拏jin nikki (1961-1962, Journal d’un vieux fou ) retrace les derniers mois d’un homme riche, retiré dans sa villa de la banlieue de T 拏ky 拏, ses rêves, ses caprices, sa déchéance. Tanizaki revient à la réalité la plus immédiate de son temps et il se plaît à en fixer les signes et les mythes, en des pages rigoureuses, souvent âpres, qu’illuminent de flamboyantes gravures sur bois de Munakata Shik 拏.

Dans ses essais critiques, il semble éviter le mot geijutsukaartiste»), d’origine récente, et lui préfère celui de geinin , terme plus ancien qui désignait tous ceux qui exerçaient un art: les comédiens, les gens de plume ou même les saltimbanques parcourant le pays pour montrer leurs tours. Jusque dans le Journal d’un vieux fou , il témoignera son admiration envers les grands acteurs de kabuki , ces maîtres de la parfaite illusion. Ses innombrables romans à la première personne se présentent comme des confessions. Fallacieuse sincérité! Le lecteur se trouve soudain pris dans un engrenage et voit comment, d’une manière imperceptible, lente mais inéluctable, se renversent les relations entre les personnages: les êtres forts et sûrs d’eux-mêmes, qui dominent les premiers chapitres, le sont moins qu’il n’y paraît. Chaque récit de Tanizaki est un piège.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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